mardi 30 septembre 2008

PYGMALION






Avez-vous connu Pygmalion ?
C'était un homme grand et fort. Il habitait vers Quatre-Bornes.
Pygmalion était un artiste. Un très bon artiste !
Mais pourquoi s'appelait-il Pygmalion ?
Je ne sais pas. On retrouve bien le même nom, porté par un personnage de la mythologie grecque ... Peut-être bien que son histoire ressemble à celle de celui-là ?


Pygmalion habitait une petite case en bois, vieille, vieille certes, mais toujours propre et repeinte de fraîches couleurs. C'était à Quatre-Bornes, comme je vous l'ai dit, juste après le virage d'où part sur la gauche la route qui mène à la plage de l'Intendance et à Police-Bay. Mais il n'y avait pas de route goudronnée ou cimentée, en ce temps-là. Il n'y avait qu'un mauvais chemin, tout poussiéreux sous le soleil, tout boueux sous la pluie. La case de Pygmalion se trouvait juste à l'endroit où se trouve maintenant un étal de fruits, de légumes et de poissons.A côté de la case, il y avait un gros manguier. Je crois bien qu'il y est encore. Notre artiste travaillait sous le manguier, en plein air. Comme il était célibataire, il travaillait à n'importe quelle heure, en chantant à tue-tête. Mais ses chansons ne gênaient personne car il n'avait pas de voisins.


Ah ! Comme il chantait, Pygmalion ! Tous les oiseaux du ciel venaient l'écouter : les tisserins, les tourterelles, les pigeons hollandais ... Enfin, tous les oiseaux de Mahé ! On dit que, parfois, il travaillait même la nuit. De l'autrre bout du village on entendait parfois son marteau et sa scie.


Car il était sculpteur, Pygmalion. C'était un véritable artiste. Il sculptait des statues, dans des troncs d'arbres à pain bien secs. Les coups qu'il frappaient chantaient alentour et les oiseaux ne les craignaient pas plus que ses chansons.
À l'époque dont je vous parle, Pygmalion travaillait jour et nuit. On ne le voyait même plus sous le toit de palmes, là où les hommes jouaient aux dominos. On avait bien essayé de savoir à quoi il travaillait, mais il chassait les visiteurs et, de toute façon, on ne pouvait rien voir car son chef-d'oeuvre, il l'avait recouverte d'un grand drap pour la cacher ...


C'était une statue, assurément. Une statue grandeur nature : Elle était juste un peu plus petite que Pygmalion lui-même.


J'ai dit que Pygmalion ne s'était jamais marié. Il y avait pourtant beaucoup de jolies filles à Mahé, douces, travailleuses ... Que voulez-vous, c'était ainsi ! Le sculpteur n'avait pas rencontré l'amour. On le disait trop exigeant ! On disait qu'il ne pourrait jamais se marier qu'avec une déesse. Il la voulait grande, mince, brune. Il voulait qu'elle ait les yeux vifs comme des braises et que ses lèvres soient aussi bien dessinées que des fleurs. Ses paupières devaient être des pétales de roses de Damas. Ses hanches devaient avoir le galbe d'un vase et ses jambes devient être longues, longues. Sa peau devait avoir la couleur de l'or. bref, Pygmalion n'avait pas rencontré la femme qu'il souhaitait pour épouse, ou plutôt, il l'avait rencontrée, mais ce n'était que dans le livre très ancien d'un très grand conteur persan.


Il ne l'avait pas réellement trouvée ... Mais il l'avait faite ! Il l'avait sculptée, crée !
Le jour vint où son oeuvre fut achevée. On le sut parce que Pygmalion avait arrêté de chanter. Mêmes les oiseaux s'étaient tus. On n'entendait plus rien, ni chansons ni coups de marteau. Que faisait donc Pygmalion ?


Ce fut Antoine qui réussit à jeter un coup d'oeil dans l'atelier, sous le manguier. Il avait même réussi, je ne sais pas comment, à soulever un coin du drap. Il courut tout le village pour raconter ce qu'il avait vu. Antoine était un petit chenapan aux cheveux ébouriffés. Il avait sept ou huit ans et il fouinait partout.

-"Qu'elle est belle!" raconta-t-il.


La statue était si belle au clair de lune que Pygmalion, assis à croupetons, restait lui-même béat d'admiration. Il ne bougeait plus. Il ne disait rien.


La statue était aussi grande qu'une véritable femme. Et belle ! Belle ! Tout à fait comme l'avait désiré Pygmalion, son créateur. Il ne lui manquait que la vie. Les jours passaient, le sculpteur ne venait même plus jusqu'à la boutique ... Mais que faisait-il donc ?
Il était toujours en admiration, immobile devant sa statue. Il soupirait : Ah! S'il avait pu lui donner la vie !


Un dimanche matin, juste après le lever du jour, Pygmalion sort enfin de chez lui. Il se rend ... à l'église. Il a sa statue sous le bras, enveloppée dans un drap.

-"Monsieur le Curé, dit-il ... Il faut nous marier. Je l'aime à en mourir !

-"Te marier ! Mais avec qui donc ? Pas avec une statue tout de même !"



Pygmalion retourne chez lui, très triste. Il dépose la statue à la place d'honneur. Elle est belle ! Belle ! Comme une déesses ! Elle est grande, mince, brune, ses yeux sont de braise, sa bouche est dessinée comme une fleur, ses paupières sont des pétales de rose.

-"Ah ! Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je lui ai donné la forme. Pourquoi ne lui donneriez-vous pas la vie ? Vous voyez bien que je l'aime à en mourir ! "



Le temps passa, et les jours et les nuits ... Pygmalion ne bougeait pas. Il était toujours en contemplation : Elle était si belle !
Pygmalion ne prenait toujours pas le temps de se nourrir. Il n'allait toujours pas à la boutique. Il était devenu aussi maigre qu'un vieux fakir indien assis sur sa planche à clous ... Mais ses yeux brillaient d'amour !



Et c'est maintenant que mon histoire devient tout à fait incroyable, je le reconnais. Faut-il y croire, faut-il ne pas y croire, je vous laisse seuls juges.
Cependant ... N'oubliez pas que l'amour fait bien des miracles ... Et puis, pourquoi mon histoire serait-elle moins crédible que celle du petit Poucet ?


Un dimanche matin, après avoir tant prié Dieu, après avoir tant souffert d'amour ... Pygmalion reprit le chemin de l'église.

-" Monsieur le Curé, cette fois-ci, il faut nous marier !"

Et c'était vrai : La statue avait pris vie. C'était vrai, elle était venue jusqu'à l'église en donnant la main à Pygmalion et en marchant d'un pas souple de danseuse ! Ses hanches avaient le galbe d'un vase splendide, ses jambes étaient longues, longues ! Sa peau avait la couleur de l'or.



Quand le Curé les a mariés, tout le village était là. Et l'on chanta ! Et l'on chanta !



Pendant un moment, tout le monde s'arrêta de chanter pour écouter la mariée : Non seulement elle était belle, belle à vous couper le souffle, mais, dans sa voix on reconnaissait celles de tous les oiseaux, de tous les oiseaux du manguier, les tisserins, les tourterelles et les pigeons-hollandais ... Sa voix avait des inflexions de cristal, come l'eau des cascades.

Pygmalion et Diane, (c'était le nom qu'on lui avait donné ) vécurent heureux pendant longtemps, longtemps ...
Demandez donc à votre grand-père ou à votre grand'mère. Peut-être les ont-ils connus ?